NANCY ET L’AFFAIRE DREYFUS
Depuis la défaite de 1870, la ville de Nancy se situe à 25 km de la frontière : c’est un avant-poste avec une garnison de 8000 hommes. En 1898, le XXe corps d’armée et créé et siège à Nancy. Le sentiment nationaliste y est donc particulièrement fort et l’esprit de revanche sans cesse présent. Le prestige de l’armée n’est pas remis en cause. Nancy est aussi une ville catholique ; elle apparaît donc comme un avant-poste face au protestantisme, cela depuis le XVIe siècle. Les traditions sont profondément
ancrées dans les esprits.
Aussi n’est-il pas étonnant de voir la majorité des Nancéiens se rallier à la cause antidreyfusarde, la volonté de défendre l’honneur de l’armée et de l’État se mêlant à l’antisémitisme. Dès la fin des années 1880, les manifestations antisémites se multiplient : un groupe d’étudiants nationalistes très actifs se forme ; en 1898, ils organisent une manifestation lors de laquelle Zola et Dreyfus sont conspués. Ils fondent alors un comité antisémite dirigé par un avocat du nom de Gervaize. Ce dernier est victorieux lors des élections législatives de 1898. Le climat est donc particulièrement tendu à Nancy lors de l’affaire Dreyfus.
COMMENT EXPLIQUER L’ENGAGEMENT DE GALLE DANS LE COMBAT DREYFUSARD ?
Il faut sans doute trouver le fondement de son engagement dans l’histoire personnelle de Gallé. Ce dernier, protestant, a toujours eu le sentiment d’appartenir à une minorité religieuse, souvent mal acceptée à Nancy. Il y a donc dès le départ une forme d’empathie vis-à-vis de Dreyfus.
Gallé est, bien avant l’affaire Dreyfus, un homme engagé dans la vie associative. Il joue un rôle important dans la presse locale, prenant part aux débats artistiques et régionaux, souvent en opposition avec les discours nancéiens officiels. Les relations avec sa ville natale sont donc souvent ombrageuses. La presse locale n’est pas toujours élogieuse à son égard.
L’engagement de Gallé s’explique aussi par ses amitiés et ses relations : Mathieu Dreyfus, le frère d’Alfred Dreyfus, est un ami intime du banquier Christ, apparenté à Henriette Gallé, l’épouse d’Emile Gallé. Ce dernier est également le beau-frère de Charles Keller, qui fréquente le sénateur Scheurer-Kestner, un des premiers défenseurs de Dreyfus. C’est presque naturellement que Gallé entre en dreyfusisme.
L’affaire Dreyfus heurte enfin la foi chrétienne et républicaine de Gallé : pour lui, ce n’est pas seulement un innocent qui est envoyé au bagne ; ce sont les hommes qui, collectivement et consciemment, se sont rendus coupables d’une injustice et ont outragé Dieu. Selon Gallé, la IIIe République a oublié l’héritage de 1789.