Il ne s’agit nullement pour lui de défendre un régime impérial qu’il considère comme tyrannique.
Cet engagement répond à un autre objectif, la défense de la liberté, de la patrie et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, idéal hérité de la révolution française et qui se diffuse dans l’Europe du XIXe siècle.
un film documentaire de 65 mn
Après le traité de Francfort signé en 1871 et qui cède à l’Empire allemand l’Alsace et une partie de la Lorraine, la lutte se poursuit pour Gallé dans le domaine artistique.
L’art devient alors pour lui un moyen de défendre ses idées, comme l’illustre l’inscription gravée sur la table Sagittaire d’eau présentée à l’Exposition universelle de 1900 :
« Car la grâce est une arme au combat pour l’idée. »
Très opposé à cette occupation, il restera marqué très lontemps par cette guerre et par la défaite française.
Mais à ce sujet d’érudition poétique Gallé associe un autre deuil, tout à fait moderne, celui de la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine par la République française, perte que Gallé comme de nombreux patriotes espère révocable. La forme présente le profil strict et régulier, soufflé dans un moule, d’une urne funéraire, mais l’attache avec le pied est une extraordinaire et énergique torsion de verre encore malléable qui évoque les remous des fleuves infernaux et annonce les futures sculptures de verre, modelées à chaud dans les ateliers de Gallé. La mise en place des figures donne bien, de manière traditionnelle, une face principale à l’objet mais la dynamique tourbillonnante de la matière, de la composition et des inscriptions favorise une lecture tridimensionnelle. Techniquement, enfin, l’œuvre est à la fois pleine de références et tout à fait nouvelle. Les vases en verre à deux couches, gravé à la roue, généralement à figures blanches en camée sur fond bleu – comme le vase de Portland du British Museum –, sont parmi les chefs-d’œuvre antiques redécouverts depuis le XVIIIe siècle. Mais Gallé expérimente ici une préparation du verre totalement différente, évoquant plus les coloris des antiques en pierre dure ou la liberté d’interprétation des minéraux que l’on trouve dans la verrerie chinoise. À cette dynamique nouvelle de la coloration de la matière à chaud fait écho une liberté de la gravure à la roue qui inaugure le rôle nouveau des graveurs chez Gallé, non plus exécutants mais interprètes. Ici, plus que jamais, il semble légitime de comparer la position artistique d’Émile Gallé et celle d’un musicien, compositeur et chef d’orchestre, dirigeant l’interprétation d’une symphonie qu’il a imaginée.
Fleuron de l’important groupe de verreries conçues par Émile Gallé pour l’Exposition universelle de Paris de 1889, ce vase traditionnellement appelé Orphée a aussi été intitulé "Deux fois perdue" lorsque l’artiste l’a présenté de nouveau, mais dans une section rétrospective, lors de l’Exposition de 1900. Précédant les développements naturalistes de Gallé, sujet, forme et technique peuvent ici encore sembler « classiques », mais un regard plus approfondi révèle déjà toute la richesse et l’originalité du créateur nancéen, alors âgé de quarante-trois ans. Le sujet mythologique est issu des Géorgiques de Virgile, comme nous le rappelle l’inscription latine. Grâce à la puissance de son art, le poète Orphée obtient le droit de ramener Eurydice, sa défunte épouse, du monde des morts, mais la transgression in extremis de l’interdit posé par Pluton et Proserpine – ne pas regarder la morte avant son retour à la lumière des vivants – sépare pour la seconde fois et définitivement les deux amants. Gallé évoque brillamment l’instant dramatique de la séparation des amants, et s’adjoint pour le dessin des figures la complicité de Victor Prouvé, l’ami peintre qui lui succéda à la tête de l’école de Nancy.
Cette oeuvre est une supplique pour le retour des territoires annexés à la France. Le décor de gangue en noir hyalite de la partie inférieure de l'oeuvre symbolise les territoires annexés.
Le chardon symbolise la Lorraine annexée.
Le col en cristal transparent symbolise l'espoir de l'affranchissement du joug allemand.
La citation est celle que les Alsaciens-Lorrains de la zone annexée ont inscrite sur un ex-voto de marbre noir scellée dans un mur de Notre-Dame de Sion-Vaudémont, le 10 septembre 1873.
Le 24 juin 1920, Maurice Barrès, en présence de dizaines de milliers de Lorrains fait disparaître sous une palmette d'or la brisure de la croix. Les mots "Ce n'ato mepo tojo" ou "Ce n'était pas pour toujours" sont gravés au-dessus de la plaque de 1873.
"Ce n'est pas pour toujours"
Bibliographie
Voir l'excellente étude de l'historienne Michelle Cussenot : La table « Flore de Lorraine » d'Emile Gallé. Une oeuvre militante.
Annales de l'Est 2005. http://www.academie-stanislas.org/Galle/14-Cussenot.pdf
« Dans la flore de Lorraine, Emile Gallé a étalé, dépensé la somme de trente années d’observations, de labeurs et de peine ; il a épuisé l’arsenal des continuelles recherches d’une carrière ; il a vidé magnifiquement, au profit de la Russie, le trésor au jour le jour amassé, prodigue et superbe ».
Roger Marx, critique d'Art
Ce commentaire de Roger Marx rend un hommage vibrant au travail de Gallé et de ses ouvriers. Mais rend-il compte de toutes les significations dont la table est porteuse ? Pour des raisons certainement diplomatiques, il insiste sur les aspects botaniques alors que son auteur était particulièrement bien placé pour connaître le poids des autres sens inclus par Gallé dans sa marqueterie. Seuls des lorrains gardant au cœur en permanence la blessure issue de la guerre de 1870 pouvaient saisir toutes les allusions contenues dans l’œuvre. Sans doute aurait-il
été risqué d’exposer la table à Nancy car tout ce qui n’était pas dit dans le texte d’accompagnement aurait sauté aux yeux de bien des visiteurs et n’aurait manqué de se répandre, mettant certainement en difficulté des responsables politiques dont nous avons vu qu’ils préconisaient la prudence. A Paris, qui pouvait découvrir tous les sens cachés de la marqueterie ? Il est certain aussi que les russes destinataires du cadeau ne pouvaient en comprendre tous les sous- entendus.
Peut-on dire que Gallé a réalisé son œuvre uniquement au profit de la Russie ? La table était bien un cadeau destiné au tsar mais le livre d’or dont elle devait être le présentoir avait pour mission de transmettre au peuple russe, à travers un témoignage d’amitié, l’ardente attente des lorrains. Gallé a bien fait de la table le support du livre d’or ; il a même largement dépassé cet objectif, en inscrivant dans le bois avec une force que le texte d’accompagnement appuie, le désir des lorrains que la Russie réponde à leur attente de justice. Si la table constituait un cadeau somptueux au tsar, elle était plus encore un appel véhément à l’alliance franco-russe.
Conservée au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, la table « Flore de Lorraine » a été pour la première fois exposée en Lorraine en 1999.
D’emblée, le paysage marqueté du plateau apparaît divisé en deux parties de tailles inégales et d’ambiances tout à fait différentes, séparées par un rectangle dans lequel s’inscrivent un blason et une croix de Lorraine. Cette zone centrale, sombre et mystérieuse, structure l’ensemble dont elle constitue le cœur.
A droite de la croix, l’espace resserré semble forestier ; le muguet y fleurit à l’ombre d’une grande touffe d’oseille aux feuilles caractéristiques.
A gauche, le large paysage fluvial, ou lacustre, apparaît lumineux ; au- dessus de l’eau, s’étend un horizon clair où s’étirent des brumes matinales, annonciatrices d’une belle journée. Tout à fait en haut et à gauche, trois oiseaux à l’allure sinistre s’éloignent à tire d’aile.
Au tout premier plan s’inscrit la phrase : « Flore de Lorraine - Gardez les cœurs qu’avez gagnés », suivie de la signature d’Emile Gallé dont la calligraphie intègre une croix de Lorraine.
Le texte dont Gallé a accompagné la table en éclaire très largement la signification bien qu’il ne révèle pas tout, laissant à chacun le soin de découvrir par un regard attentif ce que l’artiste préfère inscrire dans le bois plutôt que sur le papier.
Plusieurs clefs de lecture permettent de saisir la portée réelle de ce cadeau : c’est d’abord le gage d’amitié de toute une province, mais aussi l’œuvre d’un savant botaniste, d’un homme attaché aux traditions régionales et d’un fervent patriote.
La guerre de 1870 et l'annexion de la Lorraine et de l'Alsace par Bismarck conduisent Emile Gallé, totalement indigné, à s'engager dans un régiment d'infanterie, alors qu'une partie de sa région natale était en quelques mois occupée par les soldats prussiens.
Cette table a été commandée en 1893 à Emile Gallé et offerte au Tsar Alexandre III à l’occasion de la signature de l’alliance franco-russe. Elle est marquettée et représente un paysage allégorique de la Lorraine.
Toute une province sur une table
La table « Flore de Lorraine » est loin d’être seulement un bouquet magnifiquement inscrit dans le bois ; elle exprime les passions de Gallé et toutes les attentes d’une province meurtrie et mutilée par l’annexion allemande de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine.